Pierre Bonnard « l’insaisissable »

« si je suis devenu peintre, c’est pour le goût de la vie d’artiste » Pierre Bonnard
 

Pierre Bonnard Décor à Vernon (La Terrasse à Vernon),vers 1920/1939

 
En présentant l’exposition « Pierre Bonnard » la Fondation Beyeler entend célébrer un des artistes les plus fascinants de l’époque moderne. Elle regroupe dans un choix judicieux thématique plus de 60 toiles de Bonnard (1867–1947)( vidéo) provenant de musées internationaux et de collections privées, offrant ainsi une nouvelle perspective sur l’oeuvre de ce célèbre coloriste français et sur son évolution artistique. Le public est invité à découvrir l’ensemble de sa création, depuis ses débuts dans le cercle des Nabis jusqu’à ses oeuvres tardives de plus en plus colorées et de plus en plus abstraites, en passant par les travaux qu’il a réalisés dans l’environnement du symbolisme et de l’impressionnisme. Ces toiles représentent de célèbres scènes de baigneuses, des vues du jardin de l’artiste, des représentations de la vie quotidienne ainsi que l’animation des rues de Paris. Le commissaire Ulf Küster met au centre de l’exposition Bonnard, son esthétisme du nu, son érotisme. L’évolution de  son œuvre est empreinte d’ ambiguité visuelle dans la période nabie, jusqu’aux années 40. Il cherche non pas à représenter le réel de façon directe, mais de manière oblique, mystérieuse. L’œuvre de Redon l’a marqué.
Pierre Bonnard - La Bouillabaisse 1910 © collection privée huile sur toile 62 x 52

 
Les chats et les chiens sont en présence continue dans son œuvre, qui est multiple. Pierre Bonnard aurait pu être chat et avoir plusieurs vies, entrant dans plusieurs cultures de l’histoire de l’art. Histoire qui ne lui a pas encore accordé sa vraie place, par un ouvrage de référence. Bonnard est très mallarméen, écrivain proche de lui. Ses amis sont  Vuillard, Maurice Denis dit de lui :
 « il est admiré des fous, comme des sages, on ne se lasse pas non plus de les discuter. Il est le régal des délicats et la curiosité des esthéticiens. Il charme, il déconcerte, il scandalise. Tantôt sa peinture de livre sans réticence à notre plaisir, tantôt elle se ferme, résiste à l’exégèse du public, elle est tantôt naïve, tantôt complexe et raisonneuse ».
Sa stratégie est couleur, lumière, regard. Il exprime plusieurs versants de la modernité, conscient de la période riche qu’il traverse. Il est aussi très drôle, c’est le peintre de l’humour, n’a-t-il pas illustré à la demande de Vollard un album de Jarry sur UBU, jusqu’à prénommer son chien Ubu. Il ressemble à un chien qu’on aurait retiré de l’eau, sautillant frétillant, disent de lui certains amis.
La Bouillabaisse est un sujet  à la Chardin : un petit chat malicieux lève son museau vers une langouste et quelques poissons posés sur une table. Les antennes en V du crustacé structurent et animent la composition, elles la stabilisent aussi, car le plateau de la table a une furieuse tendance à s’envoler., mais on pourrait aussi le rapprocher du chat de Picasso et les grands maîtres) Picasso par lequel il n’était nullement apprécié.
Sortant d’un milieu bourgeois, il fait son droit, puis l’école des BA, puis l’académie Julian, il rencontre Serusier, l’école de Pont-Aven. C’est sa période radicale, synthétique, puis il évolue, il s’est sans cesse frotté au monde moderne, épousant  son époque, ses baignoires  émaillées en témoignent, il trouve le langage le plus approprié. L’affiche  de la Revue Blanche témoigne de son premier langage de l’art de la synthèse, du jeu des formes, aussi celle des parisiennes, élégantes traversant les rues de Paris.
Pierre Bonnard Lithographies France Champagne 1891 in Dreifarbendruck 78/58 CP CH ©

La Revue Blanche Lithographie 1894 Vierfarbendruck Galerie Kornfeld Bern ©

  •  Harry Bellet, s’enthousiasme dans le Monde : Bonnard est renversant. Il le démontre en soixante-cinq tableaux, – Cela commence dès l’entrée, avec une petite merveille, qu’un Vermeer n’aurait sans doute pas désavouée : Rue à Eragny-sur-Oise (Chiens à Eragny) est un tout petit tableau, peint en 1894, conservé à la National Gallery de Washington. La composition en est simplissime : le tiers inférieur de la toile représente une rue et un trottoir, un peu rose, avec deux chiens et une brouette. La partie supérieure montre deux façades d’immeuble. Celle de droite occupe le tiers supérieur du tableau. Celle de gauche les deux tiers restants, et elle est elle-même coupée aux deux tiers de sa hauteur par une ligne horizontale. Le tout est scandé de volets gris, et de trois carrés noirs, peut-être des bouches d’aération, sûrement une démonstration d’une science innée de l’harmonie

Pierre Bonnard Grande Salle à manger sur le jardin, 1934/35 Huile sur toile, 126,8 × 135,3 cm Solomon R. Guggenheim Museum, New York ©

 
Né en 1867, Pierre Bonnard a 27 ans quand il peint cela et il est déjà un maître. Ceux qui ont vu l’accrochage de la collection Stein au Grand Palais comprendront : à gauche de l’oeuvre révolutionnaire de Matisse Nu bleu (Souvenir de Biskra) était accroché un autre nu, de Bonnard celui-là. Il « tenait » le mur, plus qu’honorablement….. nu que les Stein n’ont pas gardé très longtemps Ses autoportraits au miroir,  dont le boxeur, qui témoigne de la difficulté, des soucis de Bonnard. Il reporte le jeu du miroir dans ses magnifiques nus, chefs d’œuvre de subtilité chromatique.
« Il ne s’agit pas de peindre la vie, mais de rendre la peinture vivante ». Bonnard
Il y a tous les paysages à Vernon, au Cannet, fenêtres ouvertes sur le paysage qui font penser à Matisse, essayant de traduire sur la toile une vision psychophysiologique réelle, d’après Panofsky, c’est-à-dire l’œil se promène, Bonnard se sert de « la vision mobile et variable » et la perspective traditionnelle sur un seul point focal est abolie. Jean Clair considère cette vision « multifocale » comme un aspect extrêmement moderne. Puis il y a la série des nus. Marthe son épouse pendant plus de 40 ans, au caractère difficile, jalouse, est sublimée dans ses portraits. Les toiles témoignent d’une complicité amoureuse, de l’intimité presque choquante du couple, à la limite du voyeurisme, mais aussi de la présence d’une autre femme que l’on devine, qui a eu une fin tragique.
A lire ici le billet de Holbein sur la toile « l’homme et la femme de 1900 » Autant dire que les  interprétations divergent.
Ce qui est commun à presque toutes les toiles, c’est la présence des animaux. Elles sont débordantes de sensualité, comme dans ses paysages, Bonnard est solaire. A partir de photos prises avec son kodak, il retravaille les toiles en atelier, déménageant beaucoup, au gré de la santé de Marthe, plus souvent dans le midi, avec leurs amis, écrivains, peintres, mais aussi mécènes et collectionneurs, comme la famille Hahnloeser, dont on a pu admirer la très belle collection au musée de l’Hermitage de Lausanne en 2011, que dans son atelier parisien.
L’ultime nu que Marthe ne verra pas terminé et que Bonnard n’a pas signé :
 
Pierre Bonnard nu au petit chien 1941-1946 huile sur toile Carnegie museum of Pittsburg ©

 
 » Nu dans le bain au petit chien, 1941-1946″, où elle repose comme dans une châsse de pierres scintillantes de toutes les couleurs. Marthe décède en 1942.
 
Courez-y
Jusqu’au 13 mai 2012.

Le catalogue, en allemand et en anglais, est publié par les éditions Hatje Cantz, Ostfildern. Il contient des articles d’Evelyn Benesch, Andreas Beyer, Marina Ferretti Bocquillon, Michiko Kono, Ulf Küster, Beate Söntgen ainsi qu’une biographie de Fiona Hesse. 176 pages,
121 illustrations, ISBN 978-3-905632-94-1 (Allemand); ISBN 978-3-905632-95-8 (Anglais).
 
visuels courtoisie Fondation Beyeler

Auteur/autrice : elisabeth

Pêle-mêle : l'art sous toutes ses formes, les voyages, mon occupation favorite : la bulle.

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