Anselm Kiefer dans la collection Würth

anselm-kiefer-dein-goldenes-hair-margarete-1981.1297957517.jpgExtraits du texte de Danièle Cohn, professeur d’esthétique à l’Université de Paris/ Panthéon Sorbonne, et philosophe,  auteur du catalogue : l’Art comme le soleil, qui nous a présenté la nouvelle exposition :

« Pour qui regarde une première fois une oeuvre d’Anselm Kiefer ou découvre une oeuvre nouvelle, le choc est toujours là, l’incompréhension au premier abord également. Lourde de symboles, exigeant un glossaire, contenant souvent quelques mots écrits à la main, combinant les techniques et engrangeant les qualités de médiums divers sans pour autant les fusionner, ou même les « monter » pour leur donner une continuité sémantique et matérielle, une oeuvre de Kiefer s’installe dans notre perception et comme un monument, et comme une trace mnésique individuelle, un souvenir d’un quotidien dans sa banalité. La peinture de Kiefer est cultivée, savante même. Elle est imprégnée de littérature et d’histoire de l’art, de musique et d’histoire de l’architecture, de philosophie et de science, de théologie et d’alchimie. »
Elle affectionne particulièrement  une œuvre d’Anselm Kiefer, (ci-dessus) qui est toute en opposition avec ses grands formats : Dein goldnes Haar, Margarete 1981, thème qu’il a décliné sous d’autres formats.

Je lui laisse la parole :
Paille collée, comme des nids, ceux dans lesquels on installe précautionneusement les œufs de Pâques – ou l’enfant Jésus dans la crèche, – aux carreaux d’une fenêtre. Croisée de la fenêtre, noir et blanc de la photographie, faire part de deuil aussi bien que croix tout autant, mais alors quelle croix, catholique, orthodoxe, protestante, croix de bois sur les tombes ? Papier noir, comme brûlé, noir de cendre, reste de la crémation, cadre noirci pour la clarté jaune de la paille. Textures mêlées du papier, de la pellicule, de la gouache et du relief, que font ces fétus de paille assemblés, tenus dans l’encadrement sombre .img_2849.1297960876.JPG
Pour qui regarde une œuvre de Kiefer une première fois ou découvre une œuvre nouvelle, le choc est toujours là, l’incompréhension au premier abord. Lourde de symboles, exigeant un glossaire, contenant souvent quelques mots écrits à la main, combinant les techniques et engrangeant les qualités de mediums divers sans pour autant les fusionner, ou même les « monter » pour leur donner une continuité sémantique et matérielle, une œuvre de Kiefer s’installe dans notre perception et comme un monument, et comme une trace mnésique individuelle, un souvenir d’un quotidien dans sa banalité. La peinture de Kiefer est cultivée, savante même. Elle est imprégnée de littérature et d’histoire de l’art, de la musique, d’histoire de l’architecture, de philosophie et de science, de théologie et d’alchimie.
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L’exposition Anselm Kiefer dans la Collection Würth présente le fonds particulièrement riche des oeuvres de l’artiste allemand, depuis ses oeuvres de jeunesse jusqu’à aujourd’hui. Les choix d’acquisitions du collectionneur et fondateur du Groupe Würth, Reinhold Würth, se sont en effet portés ces dernières années sur différents ensembles majeurs du travail de Anselm Kiefer.
Organisée autour des thèmes du paysage héroïque, de la poésie et des cosmogonies, l’exposition se veut comme un parcours dans une géographie imaginaire, l’esquisse d’une cartographie des pensées historiques, poétiques ou encore philosophiques chères à l’artiste. Elle présente ainsi des oeuvres de jeunesse marquées par ses interrogations sur la difficulté d’être un artiste allemand dans les années 1960-1970, vingt-cinq ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Anselm Kiefer appartient à cette génération de plasticiens qui évolue autour de la figuration et du retour au sujet (Richter, Baselitz, Immendorf, Lüpertz). Ces artistes se plongent dans les thèmes littéraires, philosophiques ou artistiques de la culture allemande souvent récupérés par le régime nazi. Cette mémoire qu’ils souhaitent se réapproprier est aussi une arme pour questionner la conscience collective longtemps silencieuse après la défaite de 1945. Les figures héroïques, les corps mutilés, les vastes paysages sont autant de symboles de cette nouvelle iconographie.
Anselm Kiefer, né en mars 1945, fait le choix à la fin de ses études d’expérimenter physiquement le nazisme lors d’un voyage « d’occupation » à travers la France, l’Italie et la Suisse, à l’été 1969. L’artiste se met en scène dans une série d’autoportraits photographiques dans lesquels il effectue le salut nazi. Cet ensemble de photographies aboutira à la réalisation de livres d’artiste, puis en 1970 à une série de huit tableaux intitulés Symboles héroïques. Il déclarera par la suite : « Il fallait que je fasse un petit bout de chemin pour comprendre la folie ».
L’exposition révèle aussi un ensemble d’oeuvres monumentales réalisées au cours des vingt dernières années, où l’on retrouve les matériaux de prédilection de l’artiste : plâtre, plomb, paille, plantes séchées, terre, bois ou encore la photographie.
Le processus d’empilement et de transformation sur la couche picturale, d’objets, de matières et d’écriture qui caractérise le travail de création de Anselm Kiefer, crée une oeuvre polysémique que le visiteur peut aborder librement, en ayant connaissance ou non des références érudites de l’artiste. Les vastes constellations d’étoiles, désignées par des numéros puisés dans les annuaires astronomiques ou dans la nomenclature de la Nasa, invitent en effet tout autant à la contemplation d’un passé ou d’un futur imaginaire, à la découverte des palais célestes de la Kabbale, qu’aux récits de la mythologie antique qui donnèrent leur nom à des systèmes stellaires.
Le dialogue ininterrompu avec la poésie, en particulier celle de Ingeborg Bachmann et de Paul Celan, est pour Anselm Kiefer une source de stimulation intellectuelle et émotionnelle inépuisable, qui, le plongeant dans l’horreur de la Shoah, lui donne en même temps les moyens de survivre.
Peintre allemand, Anselm Kiefer est né en 1945 à Donaueschingen dans le Bade-Wurtemberg. Il étudie d’abord le droit, les langues et les littératures romanes, avant de s’orienter vers l’art en fréquentant les Ecoles des beaux-arts de Fribourg-en-Brisgau et de Karlsruhe. Après avoir travaillé à Buchen dans le Bade-Wurtemberg, il s’installe en France et travaille depuis 1993 à Barjac dans le Gard et depuis 2007 à Paris.
L’oeuvre d’Anselm Kiefer démarre sur une interrogation capitale : comment, après l’Holocauste, être un artiste qui s’inscrit dans la tradition allemande ? Ce travail existentiel de mémoire s’est élargi d’une quête spirituelle nourrie de grands mythes et de mystique kabbalistique. Pétri de culture, il mêle peinture, photographie, livres et sculptures. Fasciné par le judaïsme, Anselm Kiefer a, tout au long de son oeuvre, exploré le thème de la Kabbale avec la même insistance que celui de la Germanité.

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Ses oeuvres font partie des collections des plus grands musées du monde. En octobre 2007, trois de ses oeuvres (Athanor, une peinture de 11 mètres de haut, Danaë et Hortus conclusus, deux sculptures) entrent dans les collections du Louvre. Il a inauguré le programme Monumenta du Grand Palais à Paris en 2007, avec un travail qui rend hommage notamment aux poètes Paul Celan et Ingeborg Bachmann, mais aussi à Céline.
En 2009, à l’occasion des célébrations des vingt ans de l’Opéra Bastille, l’institution commande à Kiefer la conception d’un spectacle musical avec récitant, intitulé Am Anfang dont il réalise le concept, la mise en scène, les décors et les costumes sur des textes bibliques de l’Ancien Testament.
L’artiste a reçu le prestigieux Praemium Imperial Prize à Tokyo en 1999 et a été élu lauréat du Prix de la Paix des Libraires et Éditeurs allemands pour l’année 2008.
Anselm Kiefer a été nommé titulaire de la chaire de Création artistique au Collège de France pour l’année académique 2010/2011.
photos de l’auteur
Exposition jusqu’au 25 septembre 2011  avec diverses manifestations à consulter sur le site du musée

des visites guidées gratuites sont organisées certains dimanches

Auteur/autrice : elisabeth

Pêle-mêle : l'art sous toutes ses formes, les voyages, mon occupation favorite : la bulle.

3 réflexions sur « Anselm Kiefer dans la collection Würth »

  1. Anselm Kiefer reçoit le Prix de la Paix 2008 des Libraires et Éditeurs allemands
    REUTERS/Kai Pfaffenbach
    Il est l’un des artistes internationaux les plus célébrés, courtisé par les collectionneurs et les musées du monde entier. Hanté par l’Holocauste, Anselm Kiefer a d’abord exhumé la mémoire douloureuse de l’Allemagne. Puis il a enfourché les grands mythes de l’humanité. Ses tableaux, lourds de matière et pétris de références, explorent les fondements de l’existence. Dans notre époque chaotique, leur résonance n’en est que plus singulière. L’artiste donne depuis le début de 2011 des cours au Collège de France. A cette occasion, il nous reçoit chez lui, à Paris, dans sa vaste bibliothèque, logée dans un hôtel particulier du Marais. Vêtu de couleurs sombres, comme à son habitude, calme et précis, maniant le concept et l’ironie, toujours à la recherche du mot juste pour ne pas trahir sa pensée.
    On voit régulièrement vos oeuvres dans les musées du monde entier mais, cette fois, c’est au Collège de France, à Paris, qu’on vous retrouve en chair et en os. Vous êtes, cette année, titulaire de la chaire de création artistique. Vous avez choisi pour thème de vos conférences « L’art survivra à ses ruines ». Qu’entendez-vous par là?
    Je dois d’abord dire que j’ai hésité avant d’accepter cette proposition. Je savais que Jules Michelet, Roland Barthes et Michel Foucault, notamment, étaient passés entre ces murs avant moi. Je les admire et je craignais de leur succéder. J’étais intimidé. Mais j’aime les défis. Quant au thème choisi, il vient du constat suivant: la nature de l’art est de se mettre en danger. L’impressionnisme a éclipsé la peinture académique. L’art minimal et l’art conceptuel ont été une réaction à l’école de Paris. Chaque courant naît de la volonté de détruire le précédent, de bousculer l’esthétique dominante. Et pourtant, tel un crépuscule qui se rallume, l’art sombre et renaît. La création subit aujourd’hui de nouvelles agressions, celles de la mode et du design, qui l’appauvrissent et la vulgarisent.
    Anselm Kiefer
    Mars 1945. Naissance à Donaueschingen (Allemagne).
    1980. Représente l’Allemagne à la Biennale de Venise. Sa participation provoque le scandale mais marque le début de sa carrière internationale.
    1993. S’installe en France, à Barjac, dans le Gard.
    2007. Inaugure à Paris le programme Monumenta, qui offre tous les ans la nef du Grand Palais à un artiste contemporain.
    Ce thème renvoie également à votre propre histoire. Vous aussi, vous avez, en tant qu’artiste germanique, construit sur des ruines, celles laissées par les nazis. Votre oeuvre évoque la guerre, la Shoah, la culpabilité allemande.
    Je suis né en mars 1945, un mois avant la fin de la guerre, dans la cave d’un hôpital bombardé. Je n’ai pas de souvenirs du nazisme mais l’histoire de l’Allemagne est mon histoire et elle m’a profondément blessé. Lorsque j’étais jeune, dans les années 1960, j’étais obsédé par la sentence d’Adorno, selon laquelle « écrire un poème après Auschwitz est barbare ». Moi aussi, je me suis interrogé sur la possibilité de créer après l’Holocauste. D’ailleurs, je suis passé dans les écoles d’art pour inviter les étudiants à arrêter de peindre. J’ai finalement ressenti une pression trop forte. Pour survivre, je devais m’exprimer.
    L’horreur nazie vous a donc poussé à devenir artiste?
    Non. J’avais cette vocation depuis longtemps. J’ai été élevé dans un milieu très catholique. Enfant, je voulais devenir Jésus puis le pape. En fait, j’ai toujours rêvé de l’impossible. Je souhaitais sortir de mon milieu petit-bourgeois, dans lequel je me sentais limité, enfermé. Embrasser la carrière d’artiste m’apparaissait comme le moyen de m’en échapper.
    L’une de vos premières actions a été de vous photographier, en 1969, dans des villes d’Europe, revêtu de l’uniforme du IIIe Reich, mimant le salut nazi. Des gestes qui ont déclenché le scandale et vous ont valu d’être taxé de collusion avec le fascisme. Ces accusations vous ont poursuivi plus tard, lorsque vous avez réalisé des tableaux inspirés des architectures grandiloquentes d’Albert Speer. Pourquoi cette provocation initiale?
    Mon but n’était pas de provoquer. A l’époque, on ne parlait pas du nazisme. Mes parents n’évoquaient pas cette période noire et l’école n’abordait pas souvent le sujet. Je cherchais confusément à briser le silence. Tout mon art a ensuite consisté à faire le deuil de ce que les Allemands avaient fait subir aux juifs, aux Gitans, aux communistes. Ils avaient perverti, souillé la culture germanique, il fallait tout « dénazifier ». Je ne suis pas resté figé pour autant sur cette période. La capitulation de l’Allemagne n’a pas amélioré l’état du monde et, depuis, les dictatures se sont enchaînées et l’horreur a continué. Aujourd’hui, les équilibres mondiaux sont en plein bouleversement. L’artiste doit s’interroger sans cesse, au même titre que le philosophe.
    Vous êtes profondément pessimiste.
    Pas pessimiste, désespéré. Si je vous demande pourquoi vous êtes là, sur cette terre, pouvez-vous me répondre? Quel est le sens de la vie? Personne ne peut répondre.
    Cette question des origines, de la mémoire de l’humanité, hante vos oeuvres. A partir des années 1990, beaucoup renvoient aux temps cosmogoniques, comme ces cartes du ciel parcourues de constellations.
    Qui sommes-nous? d’où venons-nous? qu’allons-nous devenir? sont des interrogations fondamentales. L’être humain est un microcosme dans le macrocosme, on ne peut pas l’oublier. Je suis, pour ma part, persuadé d’avoir conservé des souvenirs antérieurs à mon existence sur terre; j’ai l’impression que ma mémoire remonte à l’époque des dinosaures. Pour essayer de comprendre, j’ai étudié différentes propositions: les mythologies égyptienne, mésopotamienne et aztèque, et puis le bouddhisme, l’hindouisme, le judaïsme.
    Vous avez exploré le thème de la kabbale, avec le même acharnement que celui de la germanité. Pourquoi cette fascination pour le judaïsme?
    Comme je vous l’ai dit, j’ai été élevé dans le catholicisme. J’ai été enfant de choeur et je pourrais encore réciter la messe en latin. Le judaïsme, qui est à l’origine du catholicisme, est donc ma culture. Mais c’est aussi une partie de la culture dont l’Allemagne nazie s’est amputée. C’est la raison pour laquelle je m’y intéresse particulièrement. J’ai découvert que la mystique judaïque était plus riche, plus ouverte, moins dogmatique que le catholicisme. Je m’y suis tellement investi que je la connais parfois mieux que les juifs eux-mêmes. En 1990, j’ai été invité par Itzhak Rabbin à venir faire un discours à la Knesset. J’aurai prochainement une exposition en Israël, à l’occasion de l’inauguration de l’extension du musée de Tel-Aviv.
    Vos compagnons de route sont nombreux. Ce sont plus des écrivains, des poètes, des philosophes que des artistes. Vous les évoquez dans vos oeuvres, parfois émaillées de leurs citations. Pourquoi cet attachement aux mots?
    J’ai toujours eu une passion pour la littérature et surtout pour la poésie. J’aime Céline, Rimbaud, Mallarmé, Genet… Pour moi, les poèmes sont comme des bouées posées dans l’abîme ; je nage de l’un à l’autre. Sans eux, je suis perdu. Je lis d’ailleurs tous les matins, c’est ma première activité. Je descends dans ma bibliothèque et je prends un livre, presque à l’aveuglette. J’aurais pu aussi devenir écrivain. A 17 ans, j’avais reçu un prix pour un journal que j’avais rédigé. J’ai hésité à suivre cette voie. Cela ne s’est pas réalisé, car on ne peut pas faire profondément deux choses en même temps dans la vie, mais j’ai continué d’écrire mon journal. Quand je suis bloqué sur une oeuvre, l’écriture m’inspire.
    Comment travaillez-vous, justement? Comment se produit le déclic pour amorcer un travail?
    C’est un acte inconscient. Je manipule des couleurs, des matières, sans savoir précisément ce que je fais, mais quelque chose me pousse. Au bout d’un certain temps, je me retrouve face à ce qui n’est pas encore un tableau mais avec quoi je peux me confronter. Dans ma tête commence alors une lutte, pour savoir comment continuer. Il y a toujours cent voies possibles.
    Et une fois cette étape franchie?
    Il m’arrive de finir en une journée mais c’est rare. Car la plupart de mes tableaux doivent vieillir. Je me fais généralement aider par la nature : je les mets dehors, je les expose au soleil, à la pluie, à la neige. Je les laisse se modifier, se dégrader et puis je les enferme. Dans mon atelier de Croissy, et ailleurs, je dois avoir en ce moment 120 conteneurs remplis de toiles, dont certaines remontent au début des années 1970. Mais j’ai une excellente mémoire. Je peux brusquement me souvenir de l’une d’elles et vouloir l’achever.
    Vos tableaux sont lourds de matière. Vous utilisez du ciment, de la paille, des éclats de céramique, du verre brisé, des fleurs séchées… Comment les choisissez-vous?
    Je ne fais rien au hasard. Certains matériaux renvoient à des souvenirs, comme la brique. Enfant, je n’avais pas de jouets, alors je ramassais les briques dans les décombres qui entouraient notre maison et j’érigeais des constructions. C’est la raison pour laquelle j’aime les ruines.
    Mais c’est le plomb qui est votre matière privilégiée. Il est presque devenu votre signature. Vous en faites notamment des sculptures de livres empilés, instables. Quelles qualités possède-t-il?
    En règle générale, j’utilise des matériaux qui renferment une idée, un esprit. Car, comme les gnostiques, je crois que des étincelles du ciel sont tombées dans la matière. Le plomb, je l’ai pourtant découvert par hasard. J’habitais une vieille maison en Allemagne, dont les conduits étaient en plomb. J’ai dû un jour appeler un réparateur et j’ai tout de suite été attiré par la matière. J’ai appris plus tard qu’il était la première étape des alchimistes cherchant à obtenir de l’or. Les alchimistes ne font rien de plus que la nature, qui développe sur des millions d’années le temps géologique, mais ils le font plus vite. Tout un symbole. Et puis, quand j’utilise du plomb, je laisse travailler le temps, la pluie : les intempéries le peignent.
    L’homme est toujours au centre de votre réflexion. Pensez-vous que l’artiste a une mission? Jouez-vous un rôle dans la société?
    Non, un artiste n’a pas de mission, mais il produit du sens. Mon rôle n’est pas de changer le monde, je peux toutefois aider à le recomposer, contribuer à en donner une autre perception. Ce qui est plus fondamental. En tout cas, c’est ma raison d’être. Je suis incapable de vivre sans art.
    Le public semble penser la même chose. Puisqu’il se presse de plus en plus aux expositions.
    Ces dernières années, l’art est surtout devenu un produit de consommation. Sous prétexte qu’on en achète, on croit l’avoir digéré, compris. Les gens vont au musée le week-end, c’est bien, mais je ne crois pas que les millions de visiteurs du Louvre ressentent un choc devant les oeuvres. L’art est difficile à appréhender. Un néophyte a du mal à faire la différence entre un bon travail et celui qui ne vaut rien. Moi-même, je ne cesse de m’interroger sur mes propres oeuvres.
    Et que pensez-vous du marché de l’art et de ses records?
    Certains collectionneurs ont de l’argent. Et ils profitent de l’aura que l’art a acquis. Je participe du système, je vends beaucoup. Mais c’est un malentendu. J’interdis d’ailleurs à mes marchands, en Amérique ou en Europe, d’exposer mes oeuvres dans les foires. C’est tellement idiot de mettre des tableaux les uns contre les autres. On les détruit.
    Vous avez travaillé pendant quinze ans, dans le sud de la France, non loin de Nîmes, à Barjac. Mais, depuis deux ans, vous vous partagez entre le Marais, à Paris, et Croissy, en région parisienne. Que va devenir cet endroit incroyable perdu dans la nature, que vous appelez votre « palais de la mémoire »?
    Je m’y suis installé en 1993, après avoir quitté l’Allemagne. J’ai construit là des étangs, des kilomètres de tunnels, une cinquantaine de bâtiments, qui abritent mes oeuvres. Je souhaite donner Barjac à une fondation franco-allemande et l’ouvrir au public. J’ai eu cette idée en recevant en même temps que Christian Boltanski, en 2008, le prix de Gaulle-Adenauer, remis à des personnalités qui facilitent le rapprochement entre les deux pays. Les ministres de la Culture se sont rendus à Barjac et nous y travaillons. Symboliquement, ce serait très important pour moi.
    Les conférences du Collège de France, retransmises sur le site de l’institution, seront publiées en mai aux éditions du Regard.
    dans l’express

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