Suite à la projection sur France 5, je remonte mon article de 2009, sur le portrait d’Irène Cahen d’Anvers peint par Renoir en 1880.
J’ai été émue, mais aussi très admirative, de ce portrait croisé à la fondation Bürhle à Zurich. J’ai tenté par mes lectures d’en remonter l’histoire.
Voici ce qu’en disait Henri Michaux :
« Dans le visage de la jeune fille est inscrite la civilisation où elle naquit. Elle s’y juge, satisfaite ou non, avec ses caractères propres. Le pays s’y juge encore plus, et si l’eau y est saine, légère, convenablement minéralisée, ce qu’y valent la lumière, le manger, le mode de vie, le système social…Le visage des filles, c’est l’étoffe de la race même, plus que le visage des garçons…Le visage est leur oeuvre d’art, leur inconsciente et pourtant fidèle traduction d’un monde…visages mystérieux portés par la marée des ancêtres… visage de la jeune fille à qui on n’a pas encore volé son ciel… visage musical qu’une lampe intérieure compose plus que ses traits et dont le visage de madone serait l’heureux aboutissement »
Le portrait de Mademoiselle Irène Cahen d’Anvers, peint par Renoir en 1880, aujourd’hui unanimement reconnu comme un pur chef-d’œuvre. Traduisant avec délicatesse la rêverie mélancolique d’une jeune fille, ses grands yeux ingénus, sa chevelure rousse déployée sur le dos et ses mains sagement posées sur les genoux – « peu d’œuvres ont réussi comme celle-ci à capter tout ce qui nous demeure inaccessible du monde intérieur d’un enfant », écrit à son propos Pierre Assouline –, ce tableau n’eut pourtant pas une vie facile. Dès sa conception, l’œuvre déplaît fortement à la famille Cahen d’Anvers, et plus encore à la jeune Irène, qui déteste ce portrait d’elle-même et le détestera toute sa vie. Le chef-d’œuvre, comble d’infamie, sera relégué dans un placard, avant d’être recueilli, en 1910, par la propre fille d’Irène, Béatrice, offert par sa grand’mère la Comtesse Cahen d’Anvers.
Renoir et les Cahen d’Anvers se séparèrent dans de mauvaises conditions. Mécontents du travail de l’artiste, ils firent accrocher ces 2 tableaux (le pendant étant les 2 sœurs Elisabeth et Alice – Rose et Bleu) dans les communs de leur hôtel. On ne pouvait être plus méprisant, il mirent du retard à régler Renoir, d’autant plus qu’aucun prix n’avait été fixé par avance. Finalement avec mauvaise grâce, ils lui firent remettre 1 500 francs (1880). C’était plus qu’il n’avait jamais touché, mais nettement moins que ce qui se pratiquait ailleurs. D’autant plus que les Cahen d’Anvers étaient parmi les commanditaires présentés les plus riches.
Fort déçu de tant de pingrerie Renoir en eut des accès de mauvaise humeur antisémite que seule put tempérer la présence du portrait d’Irène dans une expositionà la galerie Durand-Ruel deux ans après.
Pour la petite fille au ruban bleu ce fut le début d’une presque légende.
Irène Cahen d’Anvers se laissa épouser par le comte Moïse de Camondo, à 19 ans le 15 octobre 1891. Elle se sépara du comte Moïse de Camondo, se convertit au catholicisme pour épouser celui qui avait entraîné les chevaux des écuries des Camondo, le comte Charles Sampieri.
C’est ainsi que la toile retourna dans la famille Cahen d’Anvers.
Trois décennies plus tard, la guerre s’abat sur les Cahen d’Anvers et les nazis raflent familles et tableaux. Le portrait de Mademoiselle Irène Cahen d’Anvers, dont la valeur, entre-temps, est devenue inestimable, (tombe entre les mains de Goering, qui le cède à un certain Georg Bührle), riche industriel suisse d’origine allemande, pourvoyeur d’armes lourdes pour la Wermacht et gros acheteur de tableaux volés. Léon Reinach époux de Béatrice de Camondo tente en vain de récupérer le tableau.
Mais à la Libération, Irène Cahen d’Anvers, ex-de Camondo et désormais comtesse de Sampieri, découvre dans l’exposition
« Chefs-d’œuvre des collections françaises retrouvés en Allemagne » une liste d’objets d’art pillés, la trace de son Renoir, et entreprend de le récupérer. La spoliation est manifeste, pour un tableau aussi connu et maintes fois exposé, et dont les légitimes propriétaires, Béatrice et Léon Reinach, ont disparu dans les camps. Aussi Irène héritière de sa fille, récupère-t-elle son tableau, mais c’est pour s’apercevoir qu’il lui déplaît toujours autant..
L’ex-épouse de Moise de Camondo, Irène devenue catholique et comtesse de Sampieri, divorcée du compte Sampieri, échappa aux nazis. Elle récupéra la fortune des Camondo par l’héritage Reinach après la guerre, et la dilapida.
Pauvre Renoir ! Rarement œuvre fut plus haïe par son modèle ! En 1949, elle le met en vente dans une galerie parisienne. Un amateur, aussitôt, s’en porte acquéreur. C’est… Georg Bürhle. Le portrait reprend le chemin de la Suisse, en toute légalité cette fois, et c’est ainsi qu’il se trouve aujourd’hui à Zurich, à la Fondation Bührle.
Dans le film que je viens de voir sur France 5, la cession par Goering à Bührle semble moins sûre.
D’après les dernières informations connues, il semblerait que c’est Irène Cahen d’Anvers qui aurait mis elle-même son portrait en vente. Ce serait à cette occasion que Monsieur Emil Bührle s’en est porté acquéreur. Il aurait aussi rendu les oeuvres spoliées à leurs propriétaires ou héritiers.
Kunsthaus, la Collection Emil Bührle
En 2021, à l’occasion de l’ouverture de l’extension du Kunsthaus, la Collection Emil Bührle, collection privée de renommée internationale, entrera au Kunsthaus. Le projet prévoit de placer les 166 tableaux et 25 sculptures de cette collection près de la section consacrée à l’art moderne afin d’offrir au public une continuité temporelle dans la présentation, dans un espace d’environ 1000 m2 spécialement conçu pour elles. Le regroupement des collections du Kunsthaus et de la Fondation Bührle dans un seul espace donnera naissance au plus important pôle européen de peinture impressionniste française après Paris.
Pour Zurich et la Société zurichoise des beaux-arts, la participation active d’Emil Bührle aux destinées du Kunsthaus a toujours été précieuse. Des dons comme les monumentaux tableaux de nymphéas de Claude Monet ou la Porte de l’Enfer d’Auguste Rodin sont désormais des incontournables de la collection. En finançant l’aile destinée aux expositions, Emil Georg Bührle a permis dans les années 1950 la naissance d’une plateforme dédiée à des événements originaux, où aujourd’hui encore, le public entre directement en contact avec l’art. Le travail de médiation culturelle auquel cette spectaculaire collection privée donnera lieu abordera bien sûr l’histoire de l’art, mais envisagera également la problématique des recherches de provenance, en replaçant les activités de l’entrepreneur et collectionneur Emil Georg Bührle (1890-1956) dans le contexte de l’histoire suisse.
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le titre de l’oeuvre s’appelle le dernier des Camondo, l’auteur est Pierre Assouline.
C’est incroyable, le courrier que m’a valu cet article.
On voudrait y déchiffrer son secret ; peu d’oeuvres ont réussi comme celle-ci à capter tout ce qui nous demeure inaccessible du monde intérieur d’un enfant
Quel auteur du xxe passionné d’histoire écrit cela et , le titre de son oeuvre.
Merci de me fournir la réponse.
Bien cordialement !
Bravo pour ce très bel article, toutefois je m’interroge sur le crédit à porter au témoignage d’Assouline, que j’ai lu comme vous avec beaucoup d’intérêt, à savoir que le tableau serait passé de Goering à Bührle pour réapparaître à Munich, revenir à Paris et être finalement racheté en toute légalité par le même Bührle en 1948.
La fondation Bührle « évidemment » n’en dit mot, mais c’est plutôt le bon sens et la comparaison avec les autres cas de tableaux spoliés ayant appartenu à Bührle qui m’interrogent. En effet on sait que Bührle a acheté durant le guerre 13 tableaux spoliés, sauf erreur. De ces 13, il en a racheté dans les années suivant directement la Libération 9. Les tableaux qu’il a payé une deuxième fois pour les conserver ont été rachetés aux héritiers de Alphonse Kahn, à ceux de Moïse Lévi de Benzion et à Paul Rosenberg lui-même. Les 4 tableaux rendus l’ont été aux Rotschild, à Lindon et à Rosenberg encore une fois.
Tous ces tableaux spoliés et acheté par Bührle étaient à l’abri en Suisse en 45 et on été dénoncé comme tels par l’historien d’art Douglas Cooper, chargé d’enquêter sur les biens spoliés arrivés en Suisse durant la guerre (une liste alors de 77 items, dont 13 chez Bührle). Il y eut ensuite les procès et les arrangements trouvés pour la plupart d’entre eux, mais le tableaux restent alors en Suisse.
On sait en revanche du tableau de la petite Irène qu’il a passé par le Munich Central Collecting Point (no. 8035) (4 September 1945). C’est là que passaient les biens récupérés dans les territoires qui avaient été occupés non? La Suisse n’est pas concernée. Aucun allié n’est venu dans les collections suisses faire le flic afin d’envoyer des tableaux au centre de Munich?
C’est là qu’il me semble que cela ne colle pas.
Mais peut-être me manque-t-il un élément. Aurait-il tout de même passé par Zurich durant la guerre? Qu’en pensez-vous?
Le film sur France 5 semble confirmer votre raisonnement
Merci pour ces renseignements ; je ne savais pas pour les vitraux de CHAGALL, alors que j’ai un livre sur ce sculpteur !! Honte à moi.
la cathédrale de Metz avec les vitraux de Chagall, l’Arsenal; l’ancienne gare ect …
http://www.mairie-metz.fr/metz2/sortir/culture/index.php
le projet de :
http://www.mairie-metz.fr/metz2/actions/cpm/index.php
quel article passionnant et tellement « fouillé » ; un vrai régal. Nous devons partir chez nos enfants dans l’est et désirons visiter METZ. Une « avertie » pourrait m’indiquer ce qu’il ne faut surtout pas manquer ????? merci pour ces recherches !!!!