Maria Lassnig Dialogues

C’est jusqu’au 26 août 2018,
au Kunstmuseum Basel | Neubau
Commissaire : Anita Haldemann
Le Kunstmuseum Basel consacre une rétrospective à l’artiste
Maria Lassnig décédée il y a quatre ans.

Maria Lassnig, Künstlerin in ihrem Atelier, Wien, 9.3.2002
(Foto und Copyright© Bettina Flitner.

Des feuilles jamais exposées côtoient des oeuvres emblématiques
dans le cadre de l’exposition Dialogues qui réunit environ 80 dessins
et aquarelles.

Les sensations profondes figurent au coeur de l’oeuvre de l’artiste
autrichienne Maria Lassnig (1919-2014). Rendre visible des
émotions corporelles et explorer la perception du corps occupent
une place centrale dans ses travaux « body-awareness » sur la
conscience du corps. L’artiste explorait sur le papier les sensations
de soi avec humour et gravité, ardeur et dureté. Elle représentait
sur la toile non pas ce qu’elle voyait, mais ce qu’elle ressentait.

Tandis qu’elle se livrait à l’introspection de ses perceptions corporelles,
Lassnig demeurait ancrée dans l’extérieur : ses portraits reposent
sur l’étude minutieuse de la réalité. Toutefois, ses observations
délicates des animaux et des hommes ne se limitent pas à reproduire
ce qui est visible, elles contiennent également l’essence de
chaque sujet et sondent la singularité de l’Autre.
Maria Lassnig autoportrait en phallus

Lassnig est parvenue à exprimer sur le papier ce dialogue entre
intérieur et extérieur, sensation et réalité. Médium de l’intime,
le dessin devient un terrain d’expérimentation où lignes et champs
de couleurs sont tracés instinctivement. Il ouvre des perspectives
nouvelles et révèle des motifs inédits. Bien que l’acte de dessiner
relève de l’intime, l’artiste tend à réaliser des oeuvres sur papier
pareilles à des compositions monumentales, tel un tableau.

Lassnig abandonne rapidement l’idée du croquis et de la première
ébauche en faveur d’une expression artistique autonome sur le
papier. Enfin, l’intensité du dessin, l’énergie de la ligne et la
luminosité de l’aquarelle rendent perceptible les liens entre son
art graphique et sa peinture.

Maria Lassnig compte parmi les artistes majeures
du XXe siècle aux côtés de Louise Bourgeois, Joan Mitchell
et Eva Hesse. Très vite, Lassnig a placé son propre corps au
centre de son art, et ce bien avant que les avant-gardes
internationales ne s’emparent de thèmes tels que la conscience
du corps et le rapport homme-femme.
Maria Lassnig – les Antagonistes

Quatre ans après sa disparition, le Kunstmuseum Basel rend
hommage à l’artiste à travers une rétrospective de ses oeuvres
sur papier qui réunit environ 90 dessins et aquarelles, parmi les
plus admirables, appartenant à la Maria Lassnig Stiftung
et au musée Albertina à Vienne.
Des feuilles jusqu’ici inconnues occupent une place de choix
dans l’exposition. Aux côtés de travaux plus familiers, elle apportent
un éclairage nouveau sur le concept de « body-awareness » et
sur l’oeuvre protéiforme et novatrice de l’artiste autrichienne.
Maria Lassnig est née à Kappel am Krappfeld, en Autriche,
le 8 septembre 1919. Née hors mariage Maria Lassnig a été élevée
principalement par sa grand-mère. Elle enseigne à l’Académie des
Beaux-Arts de Vienne pendant la Seconde Guerre mondiale

Dans les années 1950, Lassnig faisait partie du groupe
Hundsgruppe ( « Dog Pack »), qui a également inclus
Arnulf Rainer, Ernst Fuchs, Anton Lehmden, Arik Brauer
et Wolfgang Hollegha. Les œuvres du groupe ont été influencées
par l’expressionnisme abstrait et la peinture d’action.
En 1951, Lassnig se rend à Paris avec Arnulf Rainer où ils
organisent l’exposition Junge unifigurative Malerei
à la Kärnten Art Association. À Paris, elle rencontre
également l’artiste surréaliste André Breton et les poètes
Paul Celan et Benjamin Péret.

De 1968 à 1980, Lassnig a vécu à New York. De 1970 à 1972,
elle étudie le cinéma d’animation à la School of Visual Arts
de New York. Pendant cette période, elle réalise six courts métrages,
dont Selfportrait (1971) (visible au Kunstmuseum de Bâle)
et Couples (1972). Son film le plus célèbre, Kantate (également
connu sous le nom de Ballade de Maria Lassnig), a été
produit en 1992 à l’âge de soixante-treize ans.
Kantate (1992) dépeint un autoportrait filmique de l’artiste
sur des chansons et de la musique.

De retour à Vienne en 1980, elle est redevenue professeur
à l’Université des Arts Appliqués de Vienne, devenant
la première femme professeur de peinture dans un pays
germanophone.  Elle avait une chaire à l’université jusqu’en 1997.
En 1997, elle a également publié un livre de ses dessins
intitulé Die Feder ist die Schwester des Pinsels
(ou le stylo est la sœur du pinceau). (sources Wikipédia)
Maria Lassnig; Ohne Titel (Selbstportrait); 1942 48.5 x 31.9 cm; Aquarell

Le catalogue d’exposition Maria Lassnig.
Zwiegespräche: Retrospektive der Zeichnungen und Aquarelle
présente des contributions d’Antonia Hoerschelmann,
Anita Haldemann, Barbara Reisinger, ainsi qu’un entretien
entre Ralph Ubl et Miriam Cahn.
L’exposition bénéficie du soutien de :
KPMG AG Roswitha Haftmann Stiftung
Werner Sutter & Co AG Maria Lassnig Stiftung
Stiftung für das Kunstmuseum Basel
L’exposition au Kunstmuseum Basel est organisée en coopération
avec le musée Albertina à Vienne.
Le Kunstmuseum St. Gallen présente en parallèle
l’exposition Be-Ziehungen (5 mai – 23 septembre 2018).

À travers des exemples jalonnant toutes les étapes de son parcours
artistique, cette exposition donne un aperçu de l’évolution de
l’oeuvre picturale de Maria Lassnig.

Bruce Nauman: Disappearing Acts

C’est jusqu’au 26 août au Schaulager de Bâle
Voir ici la vidéo du vernissage
Bruce Nauman (vidéo) est sans doute l’artiste le plus influent
de notre époque.
Le Schaulager de Bâle présente la plus large rétrospective
depuis 25 ans, en collaboration avec le Moma.
C’est l’événement artistique du printemps. C’est la beauté
cruelle de l’art de Bruce Nauman depuis 50 ans. Il analyse
le plaisir et le fardeau de la condition humaine.
L’exposition réunit des œuvres rares avec des œuvres
clés connues. Il propose également une première mondiale
pour découvrir les dernières œuvres de l’artiste :
l’impressionnante sculpture Leaping Foxes (2018)
et la vidéo 3D Contrapposto Split (2017).

Installation view: Bruce Nauman, Leaping Foxes, 2018
 ProLitteris, Zurich, photo: Tom Bisig, Basel

Pour la première fois en Europe, la projection vidéo monumentale
Contrapposto Studies, créée en 2015/2016.
Parallèlement à l’exposition du Schaulager, trois œuvres de
Nauman de la collection Emanuel Hoffmann Foundation
sont présentées au Kunstmuseum Basel.
Que veut dire être un animal social, que veut dire être piégé
dans un cycle éternel de conventions, de schémas de pensées,
de processus maniaco mécaniques.
Prétentieux, existentialiste ?
C’est sûr, mais Bruce Nauman enracine son regard critique
dans l’humour noir, en en faisant un usage immodéré, il l’adoucit.
« Allez-vous en sortez de ma tête et de cette pièce ! »

C’est ce qu’il grogne en direction du visiteur.
La petite salle n’est éclairée que par une ampoule de 10 watts.
on entend une voix qui répète toujours les mêmes mots.
Mais qui peut se permettre ça ? Qui est Bruce Nauman ?
Jetons un coup d’œil.
Bruce Nauman Accession

Dans son travail, il explore des thèmes tels que la langue,
l’espace et la corporéité et explore les structures de pouvoir
et les conventions sociales. Avec sa remise en question persistante
des valeurs esthétiques et morales et des habitudes de voir,
Nauman défie constamment notre perception et notre imagination.
Nauman

C’est BN sur son cheval, c’est un excellent cavalier, il a emporté
son chapeau de cow-boy à Bâle.
Mais devoir venir montrer son œuvre Shaolin à Bâle plutôt
que de rester dans son ranch du nouveau Mexique, bien sûr
il trouve l’expo très bien, mais goûte peu le battage médiatique.
Bruce Norman est quelqu’un de très timide il n’est pas
question d’interview télé.
Installation view: Bruce Nauman, Green Horses, 1988
 © Bruce Nauman / 2018, ProLitteris, Zurich, photo: Tom Bisig, Basel

La conservatrice qui le connaît depuis longtemps :
« à mon avis il s’agit toujours de qui nous sommes dans
quelle mesure on est enraciné
dans cette terre, parfois on
a l’impression de flotter dans les espaces immenses,

et on ne sait pas dans quelle direction on va, si on est sincère
avec sa propre expérience.

Dans les espaces immenses du Schaulager, c’est une sorte
de parcours chronologique qui
est présenté.
Vidéos, sculptures, installations, les célèbres néons,
photographies,
des bruits,
des sons, des croquis,
plus de 170 œuvres
.
La surcharge visuelle est un concept, c’est une stratégie,

l’œuvre exige beaucoup de temps et de dépense physique. »
Bruce Nauman Corridor

La question du temps c’est ce qui nous fait vivre, nous existons
dans le temps, BN nous en fait prendre conscience.
Le temps est un matériau, il s’agit bien de temps et d’espace,
le jeune Bruce Nauman a été un pionnier de l’art vidéo et
de la performance. Dans une boucle éternelle il sort de son
studio où il se promène dans l’une de ses premières
installations « Couloir » (Corridor) Il filme pendant des semaines
son studio vide la nuit, en utilisant la monotonie des images,
ce qu’on croit être le non-sens , le néant, l’absurde. Il aiguise
nos sens fatigués. Une souris qui galope devient un évènement,
puis un chat.
BN est minimaliste, son domaine c’est la répétition infinie
et son modèle avoué c’est Samuel Beckett.
Bruce Nauman

Dans l’œuvre de Bruce Norman rien n’est jamais sûr.
Ce dont il doute le plus ce sont les réponses que l’on nous
donne d’autorité. Ce que veut BN, c’est que le spectateur soit
aux aguets qu’il fasse attention, en pleine conscience, ce sont des
instructions très utile pour ce moment étrange de l’histoire actuelle.
« Fais attention enfoiré »
c’est ce qu’on voit dans le miroir.
Il y a beaucoup de politique dans l’art de BN, mais il ne le dirait
pas ainsi.
Les pensées tourbillonnantes, des têtes coupées, du bétail égorgé,
torturé ou un manège d’ordures d’art animalier et d’art commercial,
penser voilà le plus grand effort de l’art.
Si nous parvenons à rester dans l’ambiguité, sans en être effrayé,
et à comprendre qu’elle nous donne accès à plus de possibilités,
à une autre vérité, nous pouvons vraiment élargir notre
horizon.
Bruce Nauman, the Heads Fontains

Physiquement il faut étendre le champ expérience, c’est ce qui se
passe quand on se glisse dans ce couloir voit on prend la place
du jeune Nauman dans sa vidéo.
Très célèbre aussi ces cages, comment ne pas penser à Guantanamo.
Bruce Nauman nous lance un défi , en temps que citoyen nous devons
rester vigilant, sur nos gardes et résistant.
Installation view: Bruce Nauman, Contrapposto Studies,  2015/2016
 © Bruce Nauman / 2018, ProLitteris, Zurich, photo: Tom Bisig, Basel

On peut spéculer aussi sur sa dernière grande vidéo,
Contrapposto Studies, dont on a pu apercevoir
un projection à Art Basel, ici il se dissout, il se désintègre, se divise
en fragments morbides d’un corps vieilli, à moins qu’il ne célèbre
la force centrifuge anarchique des parties de son corps,
est-ce l’autoportrait d’un artiste insaisissable ?
En tout cas l’exposition est très riche et dense.
Un programme de conférences, de visites
accompagne
l’exposition
Un catalogue en allemand et en anglais.
Schaulager
Ruchfeldstrasse 19
CH-4142 Münchenstein / Basel
T +41 61 335 32 32
F +41 61 335 32 30

Ouverture

Tuesday–Sunday 10 a.m.–6 p.m.
Thursday to 8 p.m.
Closed Mondays
On public holidays (Easter, 1 May, Ascension Day,
Pentecost, 1 August)
10 a.m.–6 p.m.
During Art Basel (11 – 17 June 2018)
Monday–Sunday 10 a.m.–8 p.m.
Wednesday 12–8 p.m.
Entrance tickets
Tickets valid for three visits to Schaulager incl.
one entrance to the Kunstmuseum Basel Collection
(not transferable)
regular CHF 22, reduced CHF 15
Events, guided visits and art appreciation
are included in the ticket price
Online tickets
Print-at-home-Tickets available on starticket.ch
By Train
Take tram no. 11, bound for Aesch Dorf, from the
Basel SBB station to the “Schaulager” stop (approx. 10 min).

Bacon – Giacometti

Jusqu’au – 2 septembre 2018
C’est un face-à-face inattendu que présente la
Fondation Beyeler,

dans sa nouvelle exposition. Alberto Giacometti (1901–1966)
et Francis Bacon (1909–1992) qui ont marqué
l’art du XXe siècle d’une empreinte capitale. Cette exposition fait
dialoguer le travail des deux artistes. Aussi différentes qu’elles
puissent paraître à première vue, leurs œuvres offrent en effet de
surprenants points communs. Pour Bacon et Giacometti, la
figure humaine est le motif majeur de leur recherche artistique.
Ils s’intéressent l’un et l’autre au corps fragmenté et déformé.
Ils se vouent en outre, de façon quasi obsessionnelle et dans
une multitude de portraits, à la représentation de la personne
humaine dans son individualité.

Si Bacon et Giacometti se disent « réalistes », ils poussent
néanmoins l’abstraction de la figure humaine dans ses ultimes
limites.
Giacometti et Bacon travaillaient dans de tout petits ateliers,
incroyablement encombrés, au milieu d’un extraordinaire
désordre. Ces deux creusets où leur œuvre s’est élaborée ont été
spécialement reconstitués pour l’exposition, sous forme de
projections  multimédia en taille réelle, afin que les visiteurs
puissent s’immerger dans l’environnement où les deux artistes
ont œuvré.
L’exposition réunit une centaine de peintures et de sculptures
provenant de prestigieux musées d’Europe et des États-Unis,
ainsi que de plusieurs collections privées. Elle est organisée par la
Fondation Beyeler, en collaboration avec la
Fondation Giacometti à Paris, légataire universelle de la
veuve de l’artiste. La plupart des œuvres de Giacometti présentées
en proviennent. Plusieurs d’entre elles n’ont été que rarement
montrées jusqu’ici, quelques-unes le sont pour la première fois.
A noter plus particulièrement, une série de plâtres originaux
en provenance de la succession de Giacometti jamais encore dévoilés
au grand public, ainsi que quatre grands triptyques de Bacon

L’exposition est placée sous le commissariat de
Catherine Grenier, Michael Peppiatt et Ulf Küster.
Dès l’entrée le ton est donné, avec un vocabulaire commun,
l’ironie. Le portrait du pape Innocent X, hurlant, d’après
Velazquez,
voisine avec le nez en cage de Giacometti.
Pinocchio ou revolver, les deux présentés dans un espace
tridimensionnel.

Isabel Rawsthorne
Le peintre britannique et le sculpteur suisse se sont rencontrés
au début des années 1960 au travers d’une amie commune,
l’artiste Isabel Rawsthorne. En 1965, leur relation était déjà telle
que Bacon avait rendu visite à Giacometti à la Tate Gallery à
Londres, lorsque ce dernier y installait son exposition. Une série
de clichés du photographe anglais Graham Keen documente
cette rencontre, montrant les deux artistes en intense conversation.
Plus d’un demi-siècle plus tard, les deux artistes sont réunis à la
Fondation Beyeler et ce double portrait photographique ouvre
l’exposition.Les neuf salles thématiques de l’exposition présentent les oeuvres
de Giacometti et de Bacon côte à côte, faisant apparaître clairement
les différences mais aussi les points communs des deux artistes; leurs
particularités sont soulignées, ainsi les couleurs souvent vibrantes
de Bacon et le gris hautement différencié qui caractérise le travail
de Giacometti.

Bacon Art Instutit of Chicago

Toute leur vie, Giacometti et Bacon ont travaillé à la
représentation de figures dans l’espace, Giacometti
en sculpture et Bacon en peinture.
C’est à cet aspect de leur travail qu’est consacrée la salle suivante.
Giacometti a construit tout une série de structures,
dont La Cage (1950), exposée ici en version de plâtre et
en bronze. Deux autres constructions spatiales de Giacometti sont
présentées. La légendaire Boule suspendue (1930) est une des
sculptures surréalistes les plus célèbres; de construction
aussi simple que sa charge érotique est forte, elle a stimulé
l’imaginaire de générations d’amateurs d’art.
Giacometti la Boule Suspendue, Kunsthaus Zurich

 L’oeuvre la plus importante de Giacometti dans la salle 7
est la version de plâtre de l’iconique Homme qui marche II
de 1960
,
exposée avec la version de bronze de la collection Beyeler.

Alberto-Giacometti-Walking-Man-II-1960-plaster-188 50-x-29 10-x-111 20-cm-coll-Fondation-Giacometti-Paris-photo

Cette salle présente également une sélection de triptyques
saisissants de Francis Bacon et certains de ses tableaux
grand format. Tout comme Giacometti, Bacon semble avoir
joué avec l’idée de dynamiter les limites traditionnelles de l’image:
l’objectif était la représentation d’une dynamique, la transmission
d’un mouvement se déclarant au spectateur, sans égard pour
l’impossibilité d’un tel projet dans une oeuvre statique.
Parmi ces études de mouvement peintes se démarque tout
particulièrement le triptyque
Three Studies of Figures on Beds (1972),
en provenance de la
collection familiale Esther Grether.
Bacon se sert ici de flèches circulaires, au moyen desquelles il
souligne le sens du mouvement des trois groupes de figures
entremêlées.

L’échec continu de Giacometti était inscrit dans son processus
de travail. S’il n’avait pas sans cesse eu l’impression d’échouer,
il n’aurait peut-être pas eu l’élan de persévérer. Pour lui, le travail
semble avoir été en bonne partie aussi une quête de dépassement
personnel, comme s’il avait voulu se punir pour sa condition d’artiste.
C’est probablement aussi vrai de Bacon, même si dans ses images
l’agressivité semble se diriger principalement vers l’extérieur.


C’est dans le genre du portrait que se manifestent de la manière
la plus impressionnante les obsessions artistiques des deux hommes
et leur lutte autour de leur conception respective du réalisme.
Une série de sculptures de Giacometti – surtout des plâtres
originaux – fait face à des portraits de petit format de Bacon.
Ces derniers incluent quatre petits triptyques dont la forme
est inspirée de retables médiévaux, permettant à Bacon de
représenter ses modèles sous des facettes encore plus nombreuses
et de créer des effets de distanciation.
L’une des plus célèbres oeuvres tardives

de Giacometti, le plâtre original de Grande tête mince (1954),
en fait un portrait de son frère Diego, est également présentée ici;
à la fois plane et volumineuse, l’oeuvre se joue des notions de bi- et
de tridimensionnalité, et donc des principes de la peinture et de la
sculpture. Parmi les oeuvres de Bacon présentées dans cette
salle se trouve l’extraordinaire Self-Portrait (1987), oeuvre rarement
exposée issue d’une collection privée, où l’artiste semble étrangement
absent, perdu dans ses pensées.

Dans la salle suivante, le regard tombe en premier sur un groupe
de figures féminines sur pied de Giacometti, dont la plupart
appartiennent aux Femmes de Venise que l’artiste avait créée
pour la Biennale en 1956.
Elles attirent inexorablement l’attention par leur nature extrêmement
dense et concentrée: leurs surfaces rugueuses et fragmentées sont
difficiles à saisir, il en émerge une impression de calme dynamique.
Il en est de même et plus pour les figures conçues par Giacometti
au début des années 1960

L’avant-dernière salle de l’exposition a pour thème la coexistence
d’intensité, de passion et d’agressivité dans l’oeuvre des deux artistes.
Les profondes balafres infligées par Giacometti à ses bustes en plâtre
lors de ses attaques au couteau de modelage témoignent d’une grande
agressivité, dirigée peut-être contre le modèle, mais certainement
contre son travail artistique et donc contre lui-même, ainsi dans
le Buste d’Annette IV (1962). Des réflexions de même ordre
s’imposent à la contemplation des images de Bacon:
les corps semblent y avoir été déformés et les visages distordus
de manière impitoyable.
Il est étonnant de voir comment les deux artistes ont invalidé
dans leurs oeuvres les catégories esthétiques établies.
Bacon et Giacometti donnent à voir ici les faces sombres
de l’existence humaine.

Fondation Beyeler, Beyeler Museum
AG, Baselstrasse 77, CH-4125 Riehen
Horaires d’ouverture de la Fondation Beyeler:
tous les jours de 10h00 à 18h00, le mercredi jusqu’à 20h
gratuit pour les jeunes de – de 25 ans
Un programme associé à l’exposition est à consulter
ci-dessous
Un catalogue allemand/anglais avec un tiré à part en français
est en vente à la boutique du musée et par correspondance

 

UTOPIA HOUSE

C’est ce lundi 7 mai jusqu’au jeudi 10 mai 2018

« La meilleure façon de s’approprier cet espace, c’était
de le faire ensemble »
Jan Kopp
Venez saluer Jan Kopp et son équipage le long du trajet !
Utopia House franchira deux écluses mulhousiennes :

Utopia House
photo Clarisse Schwab

→ 10 h – 10h30 : écluse 41 (au niveau du pont de Bâle)
→ 10h45 – 11h15 : écluse 39 (après la passerelle piétonnière
du Hasenrain)
L’embarcation sera visible par la suite sur les bords du canal
du Sud Alsace entre Mulhouse et Dannemarie,
n’hésitez pas à suivre l’équipage à pieds ou à vélo…
et profiter du soleil printanier pour un pique-nique bucolique !

En 2016, La Kunsthalle a invité l’artiste Jan Kopp à collaborer
avec les élèves du Lycée professionnel Saint-Joseph de Cluny
à repenser avec et pour eux, leur foyer, lieu de vie et d’échange.
Jan Kopp a choisi d’élargir son étude à la question de l’habitat,
de réfléchir à la problématique de l’hébergement d’urgence,
à la crise du logement, aux besoins d’architectures alternatives…
Les recherches et expérimentations que les élèves ont menées
durant des ateliers sont venues nourrir Utopia House, une œuvre
capable de naviguer sur l’eau en présence des lycéens pour être
par la suite renversée et devenir le toit d’un foyer des élèves.
Cette navigation constitue une des étapes du projet
Utopia House qui mobilise de nombreux partenaires locaux,
dont le Lycée des métiers du BTP Gustave Eiffel de Cernay
qui a construit l’embarcation de 14m de long sur 5m de large.
Utopia House naviguera jusqu’à Lyon entre le 7 et le 20 mai
sur le canal du Rhin au Rhône puis sur la Saône pour un trajet
de 417 km et passera 126 écluses pour y être présentée par
la Fondation Bullukian, du 29 au 31 mai, sur les quais du Rhône.
A la fin du mois de juin, Utopia House remontera le canal
du Rhône au Rhin et sera exposé à La Kunsthalle Mulhouse
dans le cadre de l’exposition Mon Nord est ton Sud,
du 13 septembre au 11 novembre 2018.
Feuille de route pressentie :

J1 → lundi 7 mai à 9h30 : d’Illzach à Wolfersdorf/Dannemarie
J2 → mardi 8 mai : de Wolfersdorf/Dannemarie à Montbéliard
J3 → mercredi 9 mai : de Montbéliard à L’Isle sur le Doubs
J4 → jeudi 10 mai : de l’Isle sur le Doubs à Baume les Dames
J5 → vendredi 11 mai : de Baume les Dames à Besançon Tarragnoz
J6 → samedi 12 mai : de Besançon Tarragnoz à Ranchot
J7 → dimanche 13 mai : de Ranchot à Choisey
J8 → lundi 14 mai : de Choisey à Seurre
J9 → mardi 15 mai : de Seurre à Tournus Chardonnay
Pause → du mardi 15 mai au soir jusqu’au samedi 19 mai au matin
J10 → samedi 19 mai : de Tournus Chardonnay à Trevoux
J10 → dimanche 20 mai : de Trevoux à Lyon

« Mon idée est de construire un espace démontable et
capable de naviguer. Je souhaite donner à cette « maison »
une première vie en tant qu’installation itinérante pouvant
accueillir un certain nombre d’élèves […] pour réaliser
un voyage d’une dizaine de jours sur le canal du Rhin
au Rhône. […] Ce qui m’intéresse également, c’est la
question de l’âge des futurs usagers de ce lieu : ce sont
des jeunes à l’aune de l’âge adulte et le voyage pourra,
pourquoi pas, être imaginé comme un voyage initiatique. »

Jan Kopp

Jan Kopp est né en 1970 à Francfort (Allemagne) et vit à Lyon.
Son travail recourt à différents médias : dessin, son, vidéo,
sculpture, performance, sans en privilégier aucun, et résiste à
toute tentation de spécialisation comme toute tentative de
classification. Il se déploie aussi bien à travers de vastes
installations conçues au regard des espaces qu’elles occupent,
que sous des formes plus discrètes telle que du crayon sur papier.

La ville est un thème récurrent, autant comme lieu possible
d’intervention que d’observation pour en déceler et figurer
les plus infimes signes poétiques.
Jan Kopp enseigne depuis 2015 à l’École Supérieure d’Art de
Clermont Métropole. Il est représenté par les galeries Eva Meyer,
Paris et Laurence Bernard, Genève.

Ses oeuvres ont été présentées au travers de nombreuses
expositions personnelles et collectives dans des institutions reconnues :
Centre Pompidou – Paris (2015) ; Centre d’art La Criée (2013) ;
Frac Alsace (2008) ; Biennale de Lyon (2001) ; PS1/MoMa – New-York (2000).

www.jankopp.net

La Presse :

les principaux articles
Depuis le lancement en septembre 2016 à l’écomusée d’Alsace,
la presse suit attentivement Utopia House.

Reportages TV
Extrait du JT de France 3 Haute-Alsace – 19.04.2018

Reportage du journal L’Alsace – 19.04.2018

Extrait du JT de France 3 Haute-Alsace – 27.04.2017

Extrait du JT de France 3 Haute-Alsace – 16.12.2016

Extrait du JT de France 3 Haute-Alsace – 05.12.2016

Presse écrite

En 2018

Journal L’Alsace,
« Utopia House, un rêve qui avance bien », 18 avril 2018

Jean Fautrier Matière et lumière

Le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris rend
hommage à Jean Fautrier (1898-1964), à travers une grande
rétrospective jusqu’au 20 mai 2018.

De Jean Fautrier je ne connaissais que les têtes d’otages,
sortes d’empâtements, je découvre avec surprise
qu’il était aussi figuratif à ses débuts, qu’il a interrompu
sa carrière de peintre, pour devenir moniteur de ski et
Hôtelier dans les Alpes.

Bien que peu connu du grand public, Jean Fautrier (1898-1964)
est l’un des artistes majeurs du XXème siècle. Il appartient à
la génération venue à l’art après le fauvisme, le cubisme et
les avant-gardes qui en sont immédiatement issues. Comme
Alberto Giacometti, Jean Dubuffet, Lucio Fontana ou
Henri Michaux , il s’est engagé dans une nouvelle direction
qui, chez lui ,s’est dessinée très tôt. La première partie de
son oeuvre est une des plus saisissantes de l’entre-deux-
guerres, dont elle reflète les drames et les tensions.
Son oeuvre évolue de façon spectaculaire dès la fin des années
1920, au point malgré lui, de faire de Fautrier l’inventeur de
l’art informel – dont l’influence sera considérable.
L’artiste refusera toujours que la peinture– ou la sculpture,
parce qu’il est aussi un grand sculpteur – ne soit plus en
prise avec la réalité.

La peinture de Fautrier repose sur la matière, à la fois
souvenir du sujet et réalité personnelle. Articulée au moyen
de nuances de lumières et de couleurs, elle est, dès les débuts
réalistes de l’artiste, une suite d’inventions picturales qui
marquera les esprits.
Fautrier était étroitement lié à de grands auteurs de son
temps, notamment André Malraux, Jean Paulhan ou
Francis Ponge, qui ont accompagné son oeuvre avec ferveur.
En 1946, Ponge compare la forte personnalité de Picasso à
celle de Fautrier, dans laquelle il reconnaît le double :
« Après Picasso : masculin, léonin, […], Fautrier représente
le côté de la peinture féminin et félin 1 […]. »
Pour lui, ce dernier ne faisait pas qu’apposer un énième
tableau au mur ; son oeuvre était bien plus puissante :
«Il est clair que Fautrier a une autre ambition.
Il veut rompre le mur
»
et donc ouvrir l’art vers de nouvelles perspectives.
Cette exposition est la troisième rétrospective Fautrier
organisée par le Musée d’Art moderne de la Ville
de Paris
depuis le printemps 1964, après que l’artiste fit
– juste avant de mourir –une importante donation au Musée.
La deuxième, d’envergure également, eut lieu en 1989.
Celle d’aujourd’hui, presque trente ans plus tard, est une reprise
augmentée de la rétrospective que proposa à l’automne 2017
le Kunstmuseum Winterthur (Suisse).
Avec près de cent quarante peintures, un corpus
représentatif d’oeuvres sur papier et plus de
vingt-cinq sculptures –soit presque la totalité de la
production sculpturale de
l’artiste –,
cette exposition permet de donner une juste vue de
l’oeuvre de Fautrier.

1. Les débuts : 1922–1925
Le parcours artistique de Jean Fautrier débute en 1920,
lorsque ,réformé par l’armée, il s’installe à Paris. Outre
la peinture, il expérimente les arts graphiques (gravure sur
bois et lithographie) qui seront déterminants pour la réalisation
de ses premières toiles. Laissant libre cours à un réalisme
sarcastique, l’artiste dépeint ses sujets de façon impitoyable.
Il tire ses thèmes de la vie des gens d’origine modeste, comme
les habitantes du Tyrol –un souvenir de ses séjours à la montagne –,
où le primitivisme de la peinture rejoint la laideur flagrante
des modèles. Dans  Portrait de

ma concierge (1922) ou Trois VieillesFemmes (vers 1923)
– des patientes de la Salpêtrière –, l’accent est mis su r les traits
des visages et les mains surdimensionnées, apportant ainsi
de la sévérité et de la profondeur à ses portraits.
En 1925, Fautrier, inspiré par sa compagne Andrée Pierson,
s’attaque au nu pour la première fois, à travers des pastels
et des peintures.
Grâce à la représentation du corps et de l’espace seulement
esquissé, la présence du sujet fait émerger la virtuosité picturale.
Fautrier ne suit pas la manière du postimpressionnisme,
pas plus qu’il ne marche dans les pas de l’avant-garde cubiste,
et ignore les jalons posés par le néoclassicisme. Ses tableaux se
rapprochent plutôt des tonalités sombres de la peinture flamande,
ou de celle de son ami et professeur
Walter Sickert, rencontré lors de ses études à Londres.
«Je me refusais à entrer dans une école quelconque, cubiste ou autre.
J’estimais que le cubisme était une chose finie, et le surréalisme,
qui était à la mode alors, également une chose finie […].»
2. Période noire : 1926–1927
En 1926, des randonnées dans les Hautes-Alpes – dans le Tyrol ou
en Savoie – inspirent à Fautrier des paysages de glaciers.
Ces oeuvres sont d’une intensité jamais vue jusqu’alors.
Par le traitement de la matière et de la lumière, elles
annoncent la «période noire », qui n’aura pas d’équivalent à son
époque. Cette peinture est une évocation simple du sujet,
abordé de manière frontale, parfois brutale, avec l’application
raffinée de quelques empreintes colorées dans un monochrome
sombre. Le peintre place les éléments de ses natures mortes
sur une surface à l’intérieur de l’image, anticipant probablement
le fond à venir. Le brun cuivré pâteux suffit à suggérer le corps
du lapin écorché, le vert vibrant la surface des poires, ou le noir
profond la présence énigmatique d’un sanglier abattu et suspendu.
Chaque sujet prend une dimension saisissante; ce ne sont
plus des choses ou des êtres qui sont représentés, mais la réalité
essentielle de leur présence au monde. Leur apparence
subtile mais aussi le choix des sujets font penser que ces oeuvres
ont été réalisées en référence aux natures mortes de la
peinture française du XVIIIème siècle. Chardin est, dès cette
époque, une grande source d’admiration pour Fautrier. Ces
tableaux valent à l’artiste ses premiers succès commerciaux.
Ils attirent l’attention des marchands d’art Paul Guillaume et
Léopold Zborowski: le premier lui fait signer un contrat, tandis
que le second l’expose aux côtés de Modigliani, de Kisling et de
Soutine. Les nombreuses versions des mêmes sujets, tels ses
Nus noirs, sont un signe de l’intérêt grandissant du public pour
le travail de Fautrier, dont la répétition en série laisse transparaître
son univers érotique.

3. Port-Cros : 1928
En 1927, la peinture de Fautrier évolue du noir vers un gris
plus doux («période grise»). Les formes deviennent plus
suggestives comme dans ses nus monumentaux qui émergent
dans une semi-pénombre. Un séjour sur l’île de Port-Cros, au
large d’Hyères, en 1928, marque une césure dans l’oeuvre de
Fautrier. Sa palette s’éclaircit, ses aplats de couleur se font
encore plus pâteux. C’est tout particulièrement vrai dans son
chef-d’oeuvre de la période, Forêt (collection du musée de
Karlsruhe), où les troncs d’arbres perdent de leur matérialité,
au profit des intervalles qui les séparent, massivement remplis
d’un jaune froid, tandis que dans les cimes, le trait ondule et
s’émancipe en une arabesque libre. Le paysage permet à
Fautrier d’obtenir une représentation graphique qui se détache
du sujet.
C’est également à ce tournant de sa peinture qu’il sculpte son
premier corpus d’oeuvres: quelques bustes et diverses petites
statues. Dans ces sculptures-peintures, toujours représentées
frontalement, la déformation déjà à l’oeuvre dans son travail
pictural, trouve son prolongement de manière très explicite.
Dans ces bustes, on retrouve le traitement pâteux des surfaces
peintes, les détails se fondant dans la matière, traitée de façon
imparfaite. Ces oeuvres rappellent celles d’autres
peintres-sculpteurs, notamment Degas, dont les sculptures ont été
découvertes dans les années 1920, ou Matisse, dans la déformation
émancipée des parties du corps
.
4. Illustrations pour L’Enfer de Dante et paysages :
1928–1940

L’apport de l’expérience de Port-Cros transparaît dans la série
de lithographies que Fautrier prépare à partir de 1928 en vue
de la publication d’une édition illustrée de L’Enfer de Dante.
Si la proposition de collaborer avec les éditions Gallimard vient
d’André Malraux, c’est l’artiste lui-même qui choisit, après
réflexion, ce poème comme point de départ à son travail. Les études
au pastel pour cette suite lithographique ont été en grande partie
perdues, et l’éditeur ayant renoncé au projet en raison du
caractère trop abstrait des illustrations de Fautrier, seules les
épreuves subsistent. Mais ces lithographies ne sont en aucune
façon abstraites: on reconnaît des sujets déjà abordés auparavant,
dans lesquels l’artiste fait un pas supplémentaire et
fondamental vers un emploi libéré de la couleur, et une ébauche
schématique de la nature et des figures. Désireux, comme il
l’expliquera plus tard, de s’affranchir du genre photographique,
du mimétique, et ne sachant rien des abstractions d’un
Kandinsky, il ne se permet pas encore de faire quelque
chose de complètement «informel». Les petits formats sur papier,
réalisés de 1928 à 1940, montrent que le sujet du paysage
lui offre la possibilité, paradoxalement, de s’écarter davantage de
la représentation naturaliste. Ces travaux étant à peine datés,
il est difficile de déterminer quand ils ont réellement été
exécutés.
Le Petit Paysage de 1940 témoigne encore de la
fascination de Fautrier pour la désagrégation des contours à
travers un tracé libre, l’idée maîtresse qui l’avait conduit dans
ses illustrations pour L’Enfer.
5. Dessins : 1930–1960
Bien qu’étant un dessinateur hors pair, Fautrier ne se remet
vraiment au dessin et au pastel qu’à partir du milieu de la guerre.
Il a en effet obtenu en 1942 une commande pour réaliser les
illustrations qui accompagneront le poème Lespugue de Robert
Ganzo, puis une autre pour deux ouvrages de Georges Bataille
(Madame Edwarda et L’Alleluiah).
L’abstraction du sujet, la
séparation entre contour et forme matérielle se poursuivent
dans le traitement du corps jamais totalement abandonné,
que ce soit dans les têtes seulement suggérées des Otages
ou dans les silhouettes voluptueuses des femmes allongées de
L’Alleluiah. À l’image des écrits de Bataille, où des situations
érotiques et des fantasmes de destruction se mêlent, la
représentation des figures confond volupté et déformation.
D’après Palma Bucarelli, auteure d’un ouvrage de référence sur
Jean Fautrier, ces nus étaient
«comme des grappes de matière irritée et décomposée».
Elle ajoutait qu’il y a, «dans les profondeurs de la nature
de Fautrier, un instinct de destruction qui se confond
obscurément avec sensualité
».
Malgré cette technique agressive, le trait ne se fait jamais violent
et reste distant: il enserre le corps tel un objet de désir dans des
mouvements rythmiques et calligraphiques, ou encore le résume
en un trait concis (torse aux bras suggérés, poitrines et sexes
réduits à un simple signe). Le fond mat, dessiné au charbon,
récurrent dans les nus, apparaît ici comme le pendant de la
masse apposée au couteau sur les toiles.
Dans ses oeuvres tardives, Fautrier revient au dessin, dans lequel
le trait gestuel, presque abstrait, semble émaner du corps
lui-même plus que de la main de l’artiste
6. Années de transition : 1930–1940
Suite au crash du marché de l’art, après la crise économique
de 1929, Fautrier ne peut plus vivre de son activité, jusque -là
prospère. Il se voit alors contraint de trouver une autre source
de revenus, et devient, dans les années qui suivent, moniteur de
ski et hôtelier dans les Alpes savoyardes. Désormais dépourvu
d’atelier, il peindra beaucoup moins durant ces années. Dans
son isolement, il réfléchit à une technique de peinture d’un
nouveau genre, qu’il mettra finalement au point dans les années
1940:
« […] même dans les années que j’ai passées comme
professeur de ski en montagne, j’ai travaillé cette technique très
soigneusement mais petit à petit, en mettant de plus en plus
d’épaisseur, en n’en mettant plus, en cherchant autre chose […].»
Cette technique apparaît déjà dans les natures mortes et les  nus
avec lesquels il reprend la peinture à la fin des années
1930. Ces oeuvres sont conçues graphiquement: évoluant
jusqu’à l’arabesque, le trait détermine l’apparence de l’objet plus
encore que dans la «période noire». Désormais, l’artiste travaille
exclusivement sur du papier qu’il maroufle ensuite sur une
toile. Dans Les Deux Pichets (vers 1939), le plat suggéré par
la masse de plâtre repose sur un fond grossièrement peint,
tandis que les deux pichets et les fruits sont esquissés au
pinceau. C’est aussi dans le courant des années 1930 que Fautrier
revient à la sculpture: les dimensions de Femme debout (1935)
rappellent combien le corps féminin est un thème important
pour lui; et son visage annonce le deuxième corpus de têtes
sculptées qui verront le jour en 1940. Leurs traits, finement
ciselés, se fondent dans la matière de sa sculpture comme dans
celle de sa peinture.
7. Une nouvelle peinture : Les Otages 1940–1945
En 1940, Fautrier revient à Paris. Durant les années de guerre,
il pratique un nouveau genre de peinture auquel il pensait
depuis longtemps. Il ne traite que peu de sujets – végétation,
nus, natures mortes – mais ceux-ci sont transformés. L’artiste ne
peint plus au sens traditionnel du terme, il conçoit l’image comme
une construction matérielle. Avec le couteau, il appose une
masse d’enduit blanc sur le papier et la modèle librement.
La matière n’est pas un fragment de réalité introduit dans l’image,
elle ne fait que suggérer cette réalité.

Sur cette base solide, Fautrier
répand des pigments de couleur et esquisse avec le
pinceau les contours qui encerclent la forme sculptée et la
font disparaître. Il ne travaille alors pas contre un mur mais pose le
papier devant lui sur une table. Le nombre de ses sujets reste
réduit: des paysages, des nus, et surtout les têtes d’Otages, qui
font un effet retentissant lors de leur présentation en
octobre-novembre 1945 à la galerie René Drouin.

Ces Otages sont desvisages de prisonniers de la Gestapo –
un thème bouleversant et vibrant d’actualité –
mais l’art et la façon dont procède
Fautrier irritent,
de même que le traitement en série des têtes, que Michel Ragon,
écrivain et critique d’art, décrira de la façon
suivante:
«Chaque tableau était peint de la même manière. Sur un fond
vert d’eau, une flaque de blanc épais s’étalait. Un
coup de pinceau indiquait la forme du visage. Et c’était tout
Les visiteurs de l’exposition remarquent, embarrassés, la beauté
des Otages, tandis que dans la préface du catalogue de l’exposition,
André Malraux s’interroge:
«Ne sommes -nous pas gênés par certains de ces roses et de ces
verts presque tendres, qui semblent appartenir à une complaisance
[…] de Fautrier pour une autre part de lui-même ?

8. Les Objets : 1946 – 1955
Après la guerre, Fautrier commence, avec les Objets, un nouveau
corpus d’oeuvres. Il ne choisit pas de représenter des objets
de valeur, mais, bien au contraire, des objets produits de
façon standardisée, voire industrielle, comme un verre, un pot,
des boîtes de conserve, des canettes, des cartons, des bobines,
ou encore des flacons de parfum. L’artiste ne s’intéresse pas aux
objets sous leur aspect familier mais cherche à en capturer l’essence
avant que celle-ci ne soit dérobée par l’usage qui en est
fait.
«Fautrier nous peint une boîte comme si le concept de boîte
n’existait pas encore […] et, plutôt qu’un objet, un débat entre
rêve et matière, un tâtonnement vers la “boîte” dans la zone
d’incertitude où se frôlent le possible et le réel», écrit
André Berne-Joffroy, commissaire d’exposition et écrivain.
Le côtoiement de matières – peinture et dessin –, qui avait
déjà donné auximages noires leur caractère particulier, atteint
dans les Objets des sommets de raffinement.
Les Objets de Fautrier rayonnent de la beauté évidente des
natures mortes de Chardin. Dans ses recherches de cette époque,
l’artiste découvre ce à quoi il aspire: une consistance interne
précise, qui se distingue de l’expressivité liée au geste direct,
et cultivée depuis l’époque des impressionnistes.
Ainsi, Fautrier ne jette pas un regard nostalgique sur la tradition
– sa peinture est irréfutablement contemporaine.
«Il faut donc ramener la peinture à cette qualité artistique qui
valait avant la touche sacrée. Le peintre est devenu un virtuose
9. L’oeuvre final : 1955–1963
Série et répétition sont des procédés chers à Fautrier
depuis ses suites de Nus noirs de 1927. L’artiste va jusqu’
à inventer en1950 un nouveau procédé de reproduction,
les «Originaux multiples»: des tirages luxueux qui ne sont
pas de simples reproductions d’oeuvres. À travers la répétition
d’un thème et la banalisation de l’objet, le dessin abstrait
apparaît au grand jour: c’est à la fois une simple évocation
et une présence d’une grande précision qui confère à la
représentation un aspect définitif. Lorsque Fautrier revient
réellement à la peinture, après avoir moins produit
pendant plusieurs années suite à des problèmes financiers,
il se concentre sur les thèmes qui l’occupent depuis ses débuts:
des nus, des têtes, des paysages…
Face au succès de la peinture abstraite, il insiste sur
l’importance fondamentale de la réalité dans l’oeuvre. Il
commence par reprendre les têtes de ses Otages qu’il
transforme en visages asexués, leur donnant des titres issus de
célèbres morceaux de jazz, comme pour Wa Da Da(1956)

.À l’automne 1956, alors que les Hongrois se soulèvent à Budapest,
Fautrier peint la série des Partisans, inscrivant à la main,
au bas de chaque toile, le célèbre vers de Paul Éluard:
«J’écris ton nom, Liberté». Ce n’est plus la recherche
d’une nouvelle technique qui conduit son travail, mais la
volonté de tout peindre en s’appuyant sur la
«bravoure et [la] brièveté du dessin» prônées par Francis Ponge,
et qui va de l’érotisme à la nature.

Catalogue
Préface de Fabrice Hergott, directeur du Musée d’Art moderne
de la Ville de Paris
Dieter Schwarz, commissaire invité
Musée d’Art moderne de la Ville de Paris
11, avenue du Président Wilson
75116 Paris
Tél : 01 53 67 40 00 / Fax : 01 47 23 35 98
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RER : Pont de l’Alma (ligne C)
Bus : 32/42/63/72/80/92
Horaires d’ouverture
Mardi au dimanche de 10h à 18h
(fermeture des caisses à 17h15)
Nocturne le jeudi de 18h à 22h seulement pour les expositions
(fermeture des caisses à 21h15)
Billet combiné Jean Fautrier / Mohamed Bourouissa
Plein tarif : 15 €
Tarif réduit : 13 €
Billetterie
Billets coupe-file sur www.mam.paris.fr
Fermeture le lundi et certains jours fériés